L'article ci-dessous est paru dans le quotidien La Voix du Nord, Nord - Pas-de-Calais, France, page 3, 6 octobre 1954.
Voir le dossier de cette affaire.
(De notre envoyé spécial Jean HAUTEFEUILLE)
Avec anxiété, nous scrutons le ciel.
S'il continue de pleuvoir ainsi sur le jardin de M. Victor d'Oliveira nous ne pourrons pas faire partir la "soucoupe volante". Nous sommes plus exactement chez la fille de M. d'Oliveira à Beuvry-lez-Béthune, à l'abri dans une remise où Victor d'Oliveira, joyeux retraité des mines, consacre beaucoup de temps et de plaisir à confectionner de curieux engins également connus sous le nom de "Montgolfier".
Mais pourquoi en attendant que la pluie cesse M. d'Oliveira ne nous initierait-il pas aux secrets de son activité?
- "C'est très simple. Je prends de grandes feuilles de papier léger, genre papier de soie. Je les coupe en forme de losange, je les colle de façon telle qu'elles puissent avoir, gonflées, la forme d'un ballon. Voici une de ces montgolfières. Elle a un mètre dix de hauteur, mais vous savez, j'en fais de 6 é 7 mètres de haut. Bref, celle-ci est prête. Je l'accroche à une poutre, comme ceci, par un bout de fil et j'installe au-dessous, un pot de terre cuite pour fleurs dans lequel je brûle des morceaux de papier.
L'air chaud pénètre dans mon sac de papier par l'orifice que j'ai réservé et voilà mon ballon gonflé. Mais, pour qu'il s'envole il faut renouveler la provision d'air chaud. Alors j'ai combiné une torche d'amiante que je peux accrocher dans l'orifice du ballon. je l'imbibe de pétrole, je mets le feu et hop! Tant que la torche brûle le ballon demeure en l'air."
- "Et il y a longtemps que vous vous amusez à ce petit jeu?"
- "Depuis ma jeunesse, Monsieur, que j'ai passé au Portugal. J'aidais alors un artificier qui faisait pour les fêtes beaucoup de feux d'artifice. J'ai toujours continué pour mon plaisir personnel. J'en ai fait des milliers. Avant la guerre, à Beuvry, de départ de mon ballon faisait même partie des festivités du 14 juillet. Le soir surtout, c'est très joli. Le ballon s'incline, la mèche laisse des traînées lumineuses, sous l'effet de courants ascensionnels il peut brusquement s'élever à la verticale.
- "Il ne va jamais bien loin. Cinq ou six kilomètres, jusque Sailly-Labourse par exemple, c'est une belle moyenne. Un jour quand même, un 14 juillet justement, nous avons mis une carte postale dans l'enveloppe (du ballon). Elle nous est revenue d'Isbergues, soit de 16 kilomètres. C'est le record."
- "Mais, ce foyer que vous envoyez en l'air, n'est-ce pas dangereux?
- "Pas du tout. Ou bien il y a du vent et le papier s'enflamme dans mes mains, juste à l'envol, ou bien il n'y en a pas et il s'élève. Quand il retombe c'est que la provision de carburant est épuisée. Le feu est mort."
Comme il ne pleut plus, nous insistons pour assister à l'envol de la "soucoupe" de M. d'Oliveira.
- "Il fait trop de vent, elle ne partira pas. Pour vous faire plaisir je vais essayer."
M. d'Oliveira connaît bien son affaire. La "soucoupe" est bien partie sous nos yeux, mais presqu'aussitôt une rafale de vent a communiqué le feu au papier. Celle-ci n'a fait qu'une vingtaine de mètres.!
Toutefois, M. d'Oliveira se trouve à l'origine de vives émotions dans la région de Béthune. Il y a quelques jours, une mystérieuse "soucoupe volante" était aperçue à Sailly-Labourse. Une enveloppe non moins mystérieuse - et qui était marquée par le feu - était retrouvée près d'une meule de paille. M. Fougnies, garde champêtre, informa la police qui récupéra la pièce à conviction dans la prairie de M. Monvoisin.
M. d'Oliveira a parfaitement reconnu son oeuvre.
Mais nul ne prend au tragique cet amusement. On croit le retraité quand il assure qu'il n'y a aucun danger et il est même fort possible que l'on ne retienne pas contre lui la seule infraction recevable: faire du feu à moins de 100 mètres d'une maison d'habitation.
Peut-être même, faut-il lui être reconnaissant d'apporter enfin une explication claire, simple et scientifique à la présence dans notre ciel de curieux engins.
Car il n'est pas douteux que M. d'Oliveira n'est pas le seul à connaître le secret de la fabrication des montgolfières de papier.
Il y a deux mois par exemple, à Essars, a été organisé un "rallye soucoupe volantes". A l'occasion de la ducasse, le maire lui-même mit le feu à la mèche. Le premier arrivé au point de chute gagnait 500 fr.
Peut-être pourrait-on simplement se demander si M. d'Oliveira n'a pas profité des bruits étranges de l'heure pour redoubler d'activité?
Nous ne le croyons même pas. Car cette homme, qui joue à la soucoupe volante comme d'autres font des collections de cailloux, confesse très sincèrement: "Je ne choisis par les jours. Je choisis le temps."
C'est bien cela, lors de la dernière expérience. il avait répondu à l'appel du temps.
Et en soupirant:
- "C'est si beau. Parfois cela monte si haut qu'on la perd de vue. Et le soir, avec du papier très fin et de couleur, cela fait une boule de feu qui prend de splendides nuances..."
Tiens! Tiens!