L'article ci-dessous est paru dans le quotidien Carrefour, France, pages 1 et 3, le 6 octobre 1954.
L'OFFENSIVE des soucoupes volantes à laquelle nous assistons en ce moment est si spectaculaire qu'un député, M. de Léotard, a cru devoir interroger, en une question écrite, le secrétaire d'état à l'Air, pour lui demander si des instructions ont été données pour que ces phénomènes soient systématiquement et scientifiquement observés, et si ces "soucoupes" ou "cigares" ne pourraient pas être pris en chasse pour être mieux observés, afin que le public sache s'il s'agit d'autosuggestion collective à dissiper, ou s'il y a lieu de tenir compte du phénomène du point de vue de la sécurité et de la Défense nationale...
Essayons, pour notre part, avec les éléments disparates qui existent de faire - approximativement, bien sûr - le point sur cette question. Tout d'abord, un fait semble certain: un pourcentage très élevé des "observations" de soucoupes volantes relèvent soit de la fumisterie pure et simple, soit d'une illusion d'optique. Ainsi en va-t-il dans les cas récents de l'ouvrier d'aciéries de Quarouble ou du cultivateur du plateau de Millevaches.
Mais, si l'on compare entre elles les différentes observations qui sont régulièrement publiées, l'extrême diversité des objets aperçus semble prouver, à première vue, que ceux qui les ont, de bonne foi, racontées, ont vu en réalité des phénomènes célestes très divers. Y a-t-il parmi ces phénomènes des "soucoupes"? Nous ne trancherons pas la question. Mais peu de ces observations semblent dignes de susciter une enquête détaillée.
Un exemple le montre bien: le 29 septembre dernier, la presse parisienne titrait: "Un témoignage sérieux sur les soucoupes volantes". Suivait l'observation, en effet fort précise en apparence, d'un homme qui semblait digne de foi. Il s'agissait du Dr. Martinet, médecin connu de Chambéry, qui avait aperçu, au-dessus de la Croix du Nivolet, les évolutions de soucoupes volantes. Le médecin donnait une description précise de ces engins, "masses d'un gris aluminium foncé". Il suivit durant plusieurs minutes les évolutions des "soucoupes", qui descendirent en feuille morte. Il contempla très nettement, devant lui, l'une d'elles, et décrivit sa forme - une assiette creuse - la zone plus claire de son centre et les taches brunes réparties autour. L'engin descendit légèrement, puis disparut. Une quinzaine de personnes qui entouraient le médecin virent également l'apparition étonnante et confirmèrent son témoignage.
Tout, dans cette observation, semblait prouver sa véracité. Précise, contée avec mesure, elle émanait d'un homme sérieux rompu aux techniques scientifiques.
Hélas! il ne fallut pas attendre longtemps pour déchanter. Deux jour plus tard un aviateur, M. Cuyard. demandait au Dr. Martinet de venir le voir. L'aviateur avait, lui aussi, cru voir une soucoupe. Il avait sauté dans son avion et était parti, courageuse-
(Suite page 3.)
Robert CLARKE.
[Légende photo:] Ce phénomène lumineux, dit de Bouffioulx, avait été observé également, neuf mois plus tôt, par la station météorologique de Villacoublay.
[Légende photo:] Ce cliché, pus par un photographe de Bulawayo (Rhodsie du Sud) a été déclaré "authentique et non truqué" par les journalistes qui l'avaient examiné.y/iY
(Suite de la première page)
ment, à la rencontre de l'engin... pour disperser un vol d'étourpeaux. Le médecin, après que les deux hommes eussent comparé leurs visions respectives, convint assez facilement qu'il avait dû, en effet, se tromper, et que la "soucoupe" qu'il avait cru voir ne devait être en fait qu'une bande d'oiseaux...
Cette histoire nous semble pleine d'enseignements. Non que nous nous refusions par principe à croire que les soucoupes volantes existent. Mais elle nous paraît jeter une grave suspicion sur tous les autres témoignages dont nous sommes quotidiennement fournis.
D'autant plus que la vérité réclame cette précision: exactement comme à chaque "épidémie" d'apparitions d'engins mystérieux dans le ciel de France, nous voyons aujourd'hui beaucoup de soucoupes observées un peu partout, après que deux informations spectaculaires aient été diffusées par la presse. Les engins mystérieux ont été en effet fort discrets au cours de l'été. Mais, le 8 septembre, M. Renard "voit" une soucoupe volante en forme de meule de foin non terminée, posée dans un champ. Il la décrit avec un luxe de détails presque convaincants. Trois jours plus tard, M. Dewilde fait mieux: il aperçoit des Martiens hauts de 80 cm courir vers leur soucoupe, qui s'envole aussitôt. Depuis, les apparitions de Martiens, les uns minuscules, les autres géants de plus de deux mètres, se multiplient dangereusement.
Le 17 septembre dernier, un autre fait sensationnel défraye les conversations: un "cigare volant" traverse dans l'après-midi le ciel de Rome. II est aperçu par des milliers de personnes qui suivent sa trajectoire brillante. Sur l'ordre du commandant de l'aérodrome de Ciampino, les observateurs-radar se penchent sur leurs appareils. Ils y voient la trace de l'engin mystérieux vers 19 heures. L'appareil, volant d'abord a très haute altitude - 10.000 mètres? - descend à quelques centaines de mètres; puis il repart à une vitesse extravagante, remonte et disparaît.
Cette observation, commune à beaucoup d'Italiens, et notamment à des aviateurs, ferait l'objet d'un examen attentif des autorités et des astronomes de l'observatoire de Rome. En France, elle a eu pour conséquence 1a floraison d'innombrables objets plus ou moins effilés, baptisés cigares, tuyaux de poêles ou ballons de rugby, de teintes et de comportements très différents, qui ont évolué au-dessus de tous les coins du pays.
Nous ne voulons, par ces deux exemples, qu'attirer l'attention de ceux qui seraient trop prompts à prendre argument de l'existence réelle d'engins inconnus sillonnant le ciel, en se basant sur la multiplicité des observations. L'attention du public attirée sur la possibilité de tels phénomènes facilite certainement les illusions d'optique, voire les hallucinations. C'est là un fait bien connu de tous les psychologues, et il n'y a pas lieu d'y insister.
Cela n'empêche pas que la question reste posée. Il est vraisemblable que certaines, parmi ces "visions", correspondent effectivement à des objets célestes existant réellement.
Si ces objets existent, que sont-ils? Chacun connaît désormais les théories les plus classiques en la matière. Elles ont été vulgarisées à de multiples reprises, tant en France qu'aux Etats-Unis (I).
La première est celle d'engins venus d'un autre monde. Une abondante littérature a été écrite sur ce sujet, car c'est l'hypothèse la plus communément admise par tous ceux qui ont étudié de près le sujet. Le major Keyhoe, ancien commandant de "marines" américain, assure que les autorités militaires de son pays possèdent un dossier prouvant que les soucoupes viennent bien d'un autre monde et que'elles refusent de le rendre public, de crainte d'une panique. Aimé Michel, de son côté, écrit qu'il y a 60% de chances pour que les "soucoupes" existent. Et que, dans ce cas, il y a 99% de chances pour qu'elles elles soient propulsées par une forme d'énergie que nous sommes absolument impuissants à produire, mais que nous pouvons cependant imaginer en théorie. Et qu'il est donc possible que des êtres vivant sur une autre planète, et possédant une technique plus avancée que la nôtre, aient mis au point ce mode de propulsion révolutionnaire.
Aimé Michel fait allusion, à propos de cette énergie nouvelle susceptible d'animer des soucoupes volantes, à la théorie que développa à plusieurs reprises dans la revue "Forces Aériennes Françaises" un jeune technicien militaire, le lieutenant Plantier. Ce dernier suppose qu'il devrait être possible de domestiquer l'énergie enfermée dans le rayonnement cosmique qui bombarde continuellement la Terre. Cette énergie servirait à créer un "champ de forces" variable et orientable, semblable à une sorte de champ magnétique extrêmement puissant. Ce "champ de forces" serait capable, suivant le lieutenant Plantier, de supporter et de diriger un engin interplanétaire, exactement comme le jet d'eau supporte ce que visent les tireurs à la foire.
Suivant le technicien, l'engin idéal susceptible d'être porté par ce "champ de forces" devrait avoir exactement la forme d'une soucoupe. Et ses évolutions, silencieuses et extrêmement rapides, seraient celles qui ont été observées par ceux qui décrivent les engins mystérieux sillonnant les cieux. Jusqu'aux changements de couleur souvent notés seraient réellament ceux qui toucheraient l'engin qu'imagine le lieutenant Plantier.
Mais, jusqu'au moment où l'un de ces hypothétiques habitants d'une autre planète aura bien voulu pousser la gentillesse jusqu'à manifester de manière plus directe et moins théorique la réalité de son existence, il reste permis de penser que les "preuves" de l'existence de ces engins interplanétaires sont encore insuffisantes.
D'autant qu'il existe un second groupe d'hypothèses scientifiques permettant d'expliquer le phénomène. C'est celui où les spécialistes font appel à d'autres données physiques et considèrent que les "soucoupes" ne sont en réalité que des objets célestes, bien réels certes, mais nullement mystérieux.
Le professeur Haffner. astronome allemand bien connu, vient d'accepter de prendre publiquement part au débat sur les "soucoupes volantes" en exposant son hypothèse personnelle, qui entre dans ce groupe:
"Les soucoupess", dit-il en substance, sont vraisemblablement des boules de feu produites par la foudre à très haute altitude. La taille, la forme, la vitesse, la couleur, la durée et le mode de disparition de ces boules de feu, ajoute-t-il, sont remarquablement similaires aux descriptions qui ont été faites le plus souvent des phénomènes observés un peu partout.
Le professeur Haffner montre que ces boules, rarement observées dans de bonnes conditions, mais dont on connaît cependant beaucoup de choses, émettent en effet des rayons lumineux parfois très brillant, peuvent changer de forme et de direction en une infime fraction de seconde, par suite des influences magnétiques, et explosent parfois, disparaissant ainsi rapidement en donnant l'illusion de s'évanouir dans l'atmosphère.
Il semble, à la lumière de ces faits, qu'il soit encore impossible de se prononcer ni sur la réalité des "soucoupes", ni sur l'évidence qu'offre l'une ou l'autre des hypothèses avancées sur l'explication du phénomène. Deux choses sont certaines, à notre sens. La première est qu'une très grande partie des soi-disant "observations" n'ont aucune valeur scientifique, soit que leurs auteurs aient été l'objet d'une illusion d'optique soit que ceux qui les commentent aient été les victimes d'une galéjade.
Il n'en reste pas moins que ceertaines observations troublantes vaudraient une enquête attentive. Mais il est permis de croire que si ces enquêtes apportent le moindre élément susceptible de bâtir une hypothèse valable, les organismes intéressés - armée, police et corps scientifique - ne mamqueraient pas de faire tout ce serait possible pour approfondir le problème. Aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe, les autorités officielles ne prennent nullement le mystère des soucoupes volantes à la légère. Le seul fait que l'U.R S.S. ait récemment annoncé par Radio Moscou que les les soviétiques étaient certains de pouvoir envoyer bientôt une fusée vers la Lune empêcherait certainement qu'on traite sans sérieux ce problème. Le plus sage est donc sans doute d'attendre que les spécialistes nous apportent la solution du mystère...
(1) Voir notamment: Donald Keyhoe "Le Dossier des soucoupes volantes" (Hachette); Aimé Michel: "Lueurs sur les soucoupes volantes" (Mame).