L'article ci-dessous est paru dans le quotidien L'Est Républicain, France, page 7, le 23 octobre 1954.
De notre envoyé spécial Maurice Goffinet: Si l'on veut prendre au sérieux les déclarations que nous a faites M. Lazlo Ujvari de Saint-Remy (Vosges), il n'y aura bientôt plus de mystère quant à leur origine, du moins, le secret de leur fonctionnement sera peut-être bien, lui aussi, percé, quelque jour ou quelque nuit, puisqu'il est établi que ces engins étranges atterrissent de préférence dans l'obscurité, quitte à surgir brusquement devant le capot d'un automobiliste ébahi ou à troubler le tranquille pédalage d'un inoffensif cycliste.
Jeudi matin, donc, il pédalait sur le vicinal domaine que relie les Basses-Pierres à Saint-Remy. C'était une matinée comme les autres. "Le ciel était nuageux, nous dit M. Ujvari, il y avait assez fréquemment des coulées de lune qui permettaient de distinguer la campagne dans certains rayons. Ma dynamo ronflait. Mais j'ai dû bientôt mettre pied à terre. A 30 mètres environ de mon domicile la route est en réfection et j'étais gêné par des cailloux non cylindrés. Je contournais le bois qui longe la route lorsqu'une silhouette se dressa devant moi. L'homme était de taille moyenne et plutôt "potelé" (sic). Vêtu d'un blouson à col châle, d'un pantalon long et de souliers à semelle dure sans doute, car ses pas résonnaient sur le sol. Sur la tête, il avait un casque, genre casque de motocyclistes, mais qui devait être recouvert d'une matière mate car il ne brillait pas. Ce qui brillait par contre, c'était une sorte de galon que l'homme portait à chaque épaule. Il est venu à moi carrément et m'a interpellé "Halte", un mot presque international, fut sa première parole. Le reste fut dit dans un langage incompréhensible pour moi. M. Ujvari précise encore que la voix du personnage était d'un registre aigu "comme une voie de femme".
"Je me suis arrêté net", poursuivit M. Ujvari. Je ne pensais guère trouver quelqu'un sur ma route à une heure pareille. L'être s'est avancé encore vers moi et se trouvait environ à 1m50. C'est alors que j'ai vu qu'il avait en main (et M. Ujvari, est formel sur ce point) un révolver. Je ne comprenais toujours rien à ce qu'il me racontait, et je lui ait dit". Ici une parenthèse s'impose: M. Ujvari né en Tchécoslovaquie il y a quarante ans. Il parle notre langue presque parfaitement et aussi la plupart des langues slaves, outre l'allemand et l'espagnol. Il doit ses connaissances polyglottes à dix ans de légion étrangère qui lui ont permis de côtoyer des hommes de toutes nationalités.
Mais laissons-le poursuivre son récit:
"Décidé à savoir ce que me voulait ce personnage armé, je lui ait dit en russe: Je parle russe".
- Moi aussi, m'a-t-il répondu à ma grande stupéfaction et en ajoutant aussitôt dans la même langue: "Où vas-tu bonhomme?"
Je lui ai expliqué que je prenais mon travail à Etival. Il m'a demandé l'heure. Je sortis mon oignon: 2h30 ai-je répondu. L'homme a changé son pistolet de main pour sortir, lui aussi, une montre.
- Ce n'est pas vrai, il est quatre heures.
Il a fallu que je lui explique qu'il était bien chez nous 2h30 puisque je travaillais à partir de 3h.
- Où est-on ici? En Espagne ou en Italie?
M. Ujvari ne cache pas que cette question l'a tout d'abord vraiment interloqué. Il pensait avoir affaire à un automobiliste étranger en panne. La première idée - cocasse - qui lui vint, s'est que l'homme s'était dès lors singulièrement égaré!
- Nous sommes en France, répondit-il.
- Où en France?
- A 100 kilomètres de la frontière allemande, à 100 kilomètres de Strasbourg.
- Est-ce loin de Marseille?
- 900 kilomètres, dit M. Ujvari, qui était bien loin alors des célèbres "blagues marseillaises".
- Va maintenant, fit l'homme en ouvrant la route à M. Ujvari.
Celui-ci n'avait pas envie de se le faire dire deux fois.
Mais une certaine curiosité le poussant, il s'aventura à demander toujours en langue russe à son étrange interlocuteur, d'où il venait. Mais l'homme semblait peu disposé a perdre son temps en vaines confidences. Va, va ne cessait-il de dire, en poussant M. Ujvari au bout de son arme.
C'est alors qu'ayant marché - bicyclette à la main - sur trente mètres environ, M. Ujvari eut tout à coup un choc au coeur.
La route étroite était barrée par un engin que M. Ujvari avait pris tout d'abord pour une automobile. "Mais je ne voyais pas de roues, et au fur et à mesure que j'approchais je distinguais ce qu'il faut bien appeler une soucoupe sur le fond du ciel: une coque en forme d'assiette ou plutôt deux assiettes accolées par les bords. Le tout en position légèrement inclinée. Je n'ai pas distingué de pied. Dans l'axe vertical se dressait au-dessus de la machine, une tige portant des ailettes".
"La soucoupe avait à première vue, un diamètre de 2m50 et une hauteur de 1m60. La tige à ailettes, grosse comme un manche à balai, mesurait environ 60 centimètres de longueur". Sur la couleur, M. Ujvari est peu renseigné. Il faisait nuit. L'engin lui a paru être métallique et gris foncé. En tout cas, aucune lueur ne s'en échappait.
"Je suis passé à un mètre, 1m50 de ce "truc" nous dit M. Ujvari et le personnage n'avait pas envie que je m'attarde. Il m'a réaccompagné jusqu'à 30 mètres au-delà de la route. Son dernier mot a été "sbogen". ("Adieu" en Russe)."
Ayant poursuivi son chemin pendant 200 mètres encore, M. Ujvari s'est arrêté et se retournant il a vu un faisceaux lumineux vertical comme celui d'un phare puissant braqué vers le ciel, s'élever de l'emplacement où il avait aperçu la soucoupe.
"J'ai entendu, poursuit-il la machine "ronronner comme un chat" c'est-à-dire guère plus fort que le moteur d'un scooter entendu à pareille distance. Puis je l'ai vue, grâce à son projecteur, s'élever à la verticale à une vitesse énorme et le phare s'est éteint tandis qu'il disparaissait vers le sud". M. Ujvari ne cache pas qu'il se pinça pour savoir s'il n'avait pas rêvé. Quitte à arriver en retard à son travail il revint sur l'emplacement de la soucoupe. Il ne subsistait rien du passage de l'étrange engin. Il eut alors l'idée d'alerter quelqu'un au village: "Mais, dit-il, j'ai eu peur qu'on me prenne pour un fou, à réveiller les gens à pareille heure".
Inutile de dire que son récit, un peu plus tard, obtenait un certain succès auprès de ses camarades de travail.
De gendarmerie à section, de section à commandement, le message des gendarmes de Raon-l'Etape passait son chemin.
"Encore une histoire de soucoupe" s'esclaffent les téléphonistes. Nous devons dire en toute impartialité qu'à Saint-Remy on rit désormais beaucoup moins.
On y connaît M. Ujvari, père de famille, comme sobre, travailleur et non sujet à des illusions, d'ailleurs non compatibles avec son passé militaire.
Les gendarmes ont enquêté très sérieusement sur le phénomène soucoupe. Sur la route, ils n'ont malheureusement trouvé aucune trace d'atterrissage.
Au cours d'un long interrogatoire, M. Ujvari n'a pas varié d'un point dans ses déclarations. "Si seulement, nous avions été deux", répète-t-il.
Il est d'ailleurs un élément secondaire - oh tout à fait - qui a une grosse importance quant au crédit qu'on peut apporter aux déclarations de M. Ujvari. La vache de ce brave homme est très malade depuis quelques jours, et son propriétaire est assez obsédé par cette tuile, pour prétendre comme étant bien accessoire sa rencontre avec le "Martien" (!) qui parlait russe...
"Vous n'allez pas me faire perdre son temps encore une fois avec cette soucoupe. J'ai eu les gendarmes assez longtemps ce matin. il faut que je soigne ma bête. Si elle crève, ça me fait 120.000 francs de perdus... vous comprenez?"
Tel fut l'accueil que nous réserva M. Ujvari alors qu'en compagnie de M. Cunin, maire de Saint- Remy, nous allions l'interviewer. Nous parvînmes à l'attendrir cependant et ce fut pour entendre l'étrange récit qu'on vient de lire.