L'article ci-dessous est paru dans le quotidien Le Petit Varois, de Toulon, France, page 8, 6 octobre 1954.
Paris -- Les "soucoupes volantes", qui empoisonnent décidément les ciels occidentaux chaque fois que se produisent d'importants événements internationaux, étendent leur champ d'action au-dessus du continent africain.
Un rapport officiel adressé au gouvernement de la Côte-d'Ivoire par l'administrateur de la subdivision de Danane, à 500 kilomètres au nord-ouest d'Abidjan, fait état d'un "phénomène" observé le 19 septembre, de 20 h. 30 à 21 h. 05, par ledit chef de subdivision, M. Vernhet, sa femme et le R.P. Yvard, réunis dans la cour de la Résidence.
Il s'agissait d'un point lumineux entouré d'un halo qui d'abord grandit rapidement, se déplaçant en se rapprochant ou s'écartant de l'horizon. Les témoins virent l'engin allumer un phare puissant, tantôt dirigé en haut, tantôt en bas. L'engin, de forme ovoïde, était surmonté d'une coupole et des rayons lumineux semblaient se détacher de chaque côté.
Lorsqu'il disparut au bout d'une demi-heure, les témoins virent nettement - selon le rapport - deux halos lumineux, de forme ovale, se former à l'endroit présumé de l'engin qui se déplaçait sans aucun bruit.
Le même jour, à Soubre, à 250 kilomètres au nord-ouest d'Abidjan, des phénomènes semblables ont été observés par le chef de subdivision.
En France, la floraison s'épanouit, passant par toutes les formes de la vaisselle volante: à Corbigny (Nièvre), c'est un disque lumineux orange se déplaçant à la verticale; à Breuil-Caussée [sic] (Deux-Sèvres) c'est un scaphandrier monté sur une assiette qui a effarouché un employé du centre d'abattage; à Vron (Somme), c'est une meule autour de laquelle rôdent d'étranges individus et qui s'envole; à Levroux (Indre), c'est un engin lumineux de 1 mètre de diamètre qui est repéré "à hauteur des bâtiments" par deux veuves du cru, et à Vatan (toujours dans l'Indre), c'est une boule que 15 personnes voient danser comme un ludion. A Milly-la-Forêt (S.-et-O.) c'est une demi-lune surmontée d'un anneau qui apparaît à un restaurateur.
Enfin, lundi, à Chamonix, pendant plus d'une heure, les officiers de l'école de haute montagne, de nombreux gendarmes de Chamonix et un pilote spécialiste du vol en haute montagne qui survolait la région à ce moment-là ont suivi l'évolution d'un engin brillant de forme bizarre entre le mont Lachat et le mont Blanc.
Si l'on s'adresse aux milieux scientifiques les plus qualifiés, on rencontre deux attitudes: celle qui consiste à refuser de répondre sous prétexte que le problème ne se pose pas et celle qui consiste à soumettre à un examen critique les témoignages publiés et à fournir à l'opinion publique, égarée et excitée par la presse, l'élément positif lui permettant de reconnaître les phénomènes naturels.
Cette dernière attitude est celle de M. Evry Schatzman, maître de recherches à l'Institut d'astrophysique et chargé de cours en Sorbonne, à qui nous avons demandé d'éclairer nos lecteurs.
- Est-il vrai que des savants commencent à prendre au sérieux les soucoupes volantes?
- Je n'ai jamais rencontré aucun astronome pour ajouter foi aux histoires de soucoupes volantes [ast]. J'ai personnellement lu bon nombre d'ouvrages sur ce sujet, en cherchant à saisir les significations exactes des témoignages rapportés. En admettant les descriptions faites de bonne foi - ce qui est toujours à mettre en doute - il en résulte toujours une perplexité quant aux éléments que l'on peut en tirer. Dans la majorité des cas ils sont incompréhensibles: on ne sait ni l'heure précise, ni la durée, ni la direction exacte du "phénomène", ni même sîl s'est produit de jour ou de nuit. Ou alors ils sont rendus infidèles par des détails impossibles à distinguer. Et ils sont rapportés avec l'intention de faire croire au mystère. Quand on a une description précise et complète, on peut ce dont il s'agit et qui peut faire illusion pour l'imagination échauffée d'un public sciemment trompé pour des buts à la fois commerciaux et politiques [pol.].
- Pouvez-vous nous décrire de tels phénomènes?
- La liste en est longue et pas encore épuisée, car il faut tenir compte des phénomènes atmosphériques et météorologiques encore inconnus. Parmi les phénomènes qui peuvent ainsi donner lieu à des méprises, voici les plus caractéristiques, sans parler des "visions" suscitées par les causes d'inquiétude populaire, comme ces parachutistes repérés par des artilleurs en mai 1940 qui, tous les soirs tiraient sur... Vénus!
1. Le lever et le coucher des planètes (Surtout Vénus et Jupiter).
2. Les "étoiles filantes" et les "bolides": il en arrive une tonne par jour sur la terre. La lumière est produite par l'échauffement de l'ait sur la trajectoire météorique. Les plus petits étoiles filantes, visibles à l'oeil nu sont des grains de matière de 1 milligramme qui se volatilisent totalement entre 120 et 90kilomètres. Seule, la chute rapide au sol limite la destruction complète des bolides, qu'un parcours plus long dans l'atmosphère anéantirait également.
3. Les phénomènes de "parhélie", qui font apparaître de feux soleils, en même temps que des halos, et qui s'expliquent par la présence en haute atmosphère d'aiguilles de glace prismatiques hexagonales. La concentration des rayons lumineux (soleil et lune) en air calme sur ces cristaux produit des taches lumineuse, à droite et à gauche du soleil ou de la lune, à une distance égale du rayon de halo de 22 degrés 5. Il se produit plus souvent un halo avec d'autres soleils ou d'autres lunes, d'un diamètre angulaire double.
C'est ainsi que les habitants de Péronne ont "cru voir" une éclipse de soleil imprévue les 20 et 21 juin. Il s'était produit un halo normal d'une intensité exceptionnelle, dont M. Daniel Roguet, correspondant astronomique. à décrit les effets en ces termes:
"A certain moments, selon la variation des cirrhus [sic], l'intérieur du halo était gris-noir très foncé et les couleurs irisées du halo aussi éclatantes que celles d'un très bel arc-en-ciel, avec, au-delà, un ciel laiteux, légèrement ocré, formant un magnifique contraste avec la partie centrale".
4. Les boules de lignes à haute tension qui servent de repère aux aviateurs ont été prises récemment pour des engins mystérieux par des cyclistes qui, la nuit, voyaient ces boules balayées par le phare d'un aérodrome.
5. Les ballons sondes des météorologistes.
6. La foudre en boule: ce sont des configurations qui se produisent à de certains orages, avec un équilibre de charge précaire.
7. Le phénomène du mirage en atmosphère. Vous savez comment il se produit au sol: les rayons lumineux ne se propagent pas en ligne droite dans l'air chaud, mais ils viennent de réfléchir sur la pellicule d'air surchauffée, par exemple par le goudron des routes l'été. Vous croyez voir alors des flaques d'eau devant vous [mir1]. L'inversion de température en altitude provoque également un changement de l'indice de réfraction: d'où l'effet pour un aviateur de voir un point lumineux se diriger droit devant lui, alors que ce point a sa source réelle au sol. [mir2]
L'objet, qui semble toujours aller à la vitesse de l'aviateur, est, d'ailleurs, caractéristique de l'objet situé à de très grande distances.
- Mais n'est-il pas possible de concevoir scientifiquement des engins terrestres comparables aux "soucoupes" aperçus ici et là?
Non, car les grandes vitesses dont les "témoins" prétendent ces "engins" animés ne pourraient être atteintes que dans les régions d'air raréfié, à la limite de l'atmosphère. L'action mécanique de l'air sur leur surface aurait tôt fait de disperser les molécules de la substance dont ils seraient faits.
En somme, pour résumer la pensée du savant, il y a dans ces histoires de soucoupes volantes trois éléments à distinguer:
1. Un élément scientifique: discussion des observations, explication des phénomènes naturels, explication sociologique des phénomènes d'hallucination collective [hal].
2. Un élément logique: incohérence des opinions et des témoignages.
3. Un élément politique: excitation de l'opinion publique, substitution de problèmes imaginaires à des problèmes réels, etc. [pol]
M. Evry Schatzman a énuméré, on le voit, les phénomènes de vision, de fausse perception et d'hallucinations qui peuvent expliquer les témoignages les plus précis et les plus complet - lesquels sont une infirme minorité et toujours sujets à caution.
Il n'est pas de savant pour prendre au sérieux les hypothèses émises par les littérateurs scientifiques, les spécialistes de science-fiction et les membres du Pentagone [pol.], lesquels ont d'ailleurs renoncé à la théorie des engins extra-terrestres, ainsi que le révèle le dernier ouvrage de M. Keyhoe.
Le musée des soucoupes est toujours vide de pièces à conviction. Et il est difficile d'admettre, si les "soucoupes" sont des engins terrestres, qu'on n'en ai jamais recueilli un seul fragment [fra], jamais entendu la détonation supersonique [sup], jamais constaté une perturbation dans l'air.
Remarquons également pour mémoire que les "soucoupes" et "autres cigarillos" semblent 'écarter systématiquement des ciels soviétiques, chinois et des pays de démocratie populaire... [pol] [est]
Ce n'est pas le lieu pour commenter les "vrais" - il y en a - et les "faux" dans les propos attribués à Evry Schatzman; je voulais toutefois faire quelques brèves remarques:
[ast] C'est littéralement vrai: Evry Schatzman n'a certainement jamais rencontré un astronome "ajoutant foi aux histoires de soucoupes". Ce qui serait faux est de faire croire qu'il n'en existait pas (Hynek, La Paz, Tombaugh...)
[pol.] Comme beaucoup d'autres scientifiques français de cette époque, Evry Schatzman était marxiste, avec une inféodation à l'idéologie de l'URSS. Avait été émise dans ces milieux l'idée que les "soucoupes" étaient "politiques", c'est-à-dire que le "Pentagone" les utilisait opur rendre les gens anxieux, tandis que les pays communistes ne se seraient pas livrés à cela.
[est] Il est totalement faux qu'il n'y aura pas eu de "soucoupes" dans les démocraties populaires. Lire Boris Shurinov, Felix Zigel, par exemple.
[mir1] Il doit être bien compris que les mirages au sol ne font pas apparaître des "soucoupes" ni des "engins".
[mir2] Evry Schatzman a cru correctes les idées de l'astronome américain "sceptique" Donald Menzel. Elles sont sans fondement sur ce point; il n'y a jamais eu de "mirages aérien lumineux" d'une telle sorte. Ce qui peut se produire est une réfraction des ondes radars faisant détecter des objets au sol (camion, bateaux) et les montrant alors sur les écrans radars - mais avec la vitesse de déplacement et la trajectoire de l'avion, du bateau... Les radaristes de l'époque devaient les distinguer, plus tard, ces "faux échos", ces retours radar d'objets lents au sol ont été filtrés électroniquement pour ne pas gêner.
[sup] C'est le scientifique français Jean-Pierre Petit qui montrera comment même avec nos technologies déjà connues (MHD), il serait possible de supprimer le "bang" supersonique. L'argument pouvait tenir en 1954, il ne devrait plus être maintenu.
[fra] Il ne manque pas de cas avec "fragments"; certes souvent discutables si pas démontés. Le musée de la soucoupe reste à construire, nul ne s'étant jamais soucié ne serait-ce que de préserver correctement les fragments les plus intrigants.
[hal] Les méprises ne sont évidemment pas des "hallucinations collectives", le journaliste ne semble pas le comprendre. Les méprises et méprises collectives existent, les "hallucinations collectives" n'existent tout simplement pas. Le problème n'est que très rarement une "fausse perception", il est souvent une "fausse interprétation".