L'article ci-dessous est paru dans le quotidien La Liberté de Normandie, de Caen, France, page 4, le 12 octobre 1954.
Nous déclare M. Louis Bréguet
le célèbre constructeur d'avions
Un aveu tout d'abord. Lorsque je sus qu'il m'allait être donné de rencontrer Louis Bréguet, je m'étais bien promis de demander au pionnier de l'Aéronautique ce qu'il pensait des soucoupes volantes. Mais aussitôt introduit dans le vaste bureau austère, en présence de cet homme grand - qui est aussi un grand homme - de ce regard brillant d'intelligence derrière les lunettes, de cette silhouette pleine de noblesse, gênée par la bienveillance même qu'il me témoignait ... je n'ai plus osé. Tout simplement. Et ma foi j'ai posé les questions que me suggérait une actualité plus terrestre: le tout récent voyage de M. Bréguet aux Etats-Unis.
Le constructeur vient en effet d'être invité là-bas pour l'inauguration d'une galerie de bustes des "Gloires de l'Aéronautique". Il y en a, jusqu'à présent trois - dont le sien. Hommage mérité, mais qui n'est pas si commun de la part des Américains à l'endroit d'un étranger:
"Ah! oui, dit M. Bréguet distraitement, ils m'ont placé dans la galerie des honneurs... Bah! Je n'ai comme titre que d'avoir été réellement un des pionniers à m'intéresser à l'aviation, et puis je me suis occupé un peu de tout dans cette branche: l'aviation civile, l'aviation militaire, les hélicoptères. Savez-vous que la question des hélicoptères me passionne? J'ai là-dessus quelques idées et je crois pouvoir arriver, en quintuplant la puissance des "jets", sinon à réduire la consommation en vol immobile, du moins à faciliter le décollage sur place. Vous voyez tout de suite les avantages de cette facilité...
A peu près... J'évoque (en moi-même) les anticipations avec leurs aérobus urbains, ce qui me fait penser à ces sacrées soucoupes... Mais M. Bréguet poursuit son propos, et ce qu'il me confie est trop intéressant pour en rien laisser perdre. Il me raconte son voyage, le troisième aux Etats-Unis, ses visites passionnantes chez les constructeurs: Bell, spécialiste des fusées téléguidées; Curtiss-Read, qui construit les moteurs des Super-Constellation et projette de remplacer les jets "Saphir" par des "turbo"... Cette fois, il est allé jusqu'au Canada en survolant les chutes du Niagara. Il a été, là aussi, magnifiquement reçu et a constaté l'existence d'innombrables projets pour l'aviation commerciale. Le plus important parait être la commande de 25 "Britannia" passée par Bristol aux usines Canader, où des turbines B25 marqueraient une évolution décisive du système "Protheus" de Bristol. J'ai peur de ne pas très exactement suivre ces considérations techniques, et de mal me retrouver dans les moteurs, les turbo réacteurs, les jets, les rockets et autres noms barbares. Mais ce que je retiens - et ce que M. Bréguet omet de souligner - c'est qu'il a été appelé et accueilli aux Etats-Unis et au Canada comme un Conseiller, comme un aîné dont on sollicite les avis.
"On apprécie beaucoup le génie français en Amérique, me dit-il. Et quand je vois ce qu'à New York les techniciens et chefs de firme prévoient pour une politique d'aide à l'aviation pendant les dix prochaines années, je vous assure qu'il est triste pour un Français de comparer à ce dont il dispose... Peut-être devrions-nous travailler avec eux, en commun, de façon à supporter en commun des charges onéreuses, même pour eux. Leurs ouvriers, d'autre part, sont surtout qualifiés pour la série. L'avenir de l'aviation est tel que rien ne devrait être épargné pour gagner du temps, donc de l'argent, ou réciproquement. Car les progrès vont à pas de géant. Aux usines Bell, j'ai contemplé, muni de lunettes noires, les "rockets" d'où jaillissent d'effrayantes flammes. Je me croyais en enfer. Mais on pense, avec de tels matériels, atteindre peut-être 6 à 7000 kilomètres [à l'heure]: ce seraient les téléguidées qui feraient la guerre tout seul. Bien sûr, il y a beaucoup de "Jules Verne" dans ces aperçus mais des choses inouïes se préparent, et vite.
Sans doute une certaine amertume, mais surtout une belle ambition, transparaissent de ces paroles. Si la France pouvait à son tour aller de l'avant! Elle en a les moyens techniques. M. Bréguet les lui donne.
Et nous revenons... sur la terre... "L'heure est venue de s'orienter, dans l'aviation de transport, vers le confort, les hautes altitudes, les vitesses de 7-800 km-heure avec de grosses charges. C'est en ce sens que j'ai étudié notre "Super-Bréguet-Deux-Ponts" qui n'a jamais pu, hélas, être fabriqué comme il aurait fallu. Le "Super" recevrait toutes les améliorations de confort nécessaires, qui ne sont pas rien: pensez que dans le Deux-Ponts simple il y avait 24 kilomètres de fils électriques, détail qui vous laisse imaginer le reste! Il n'est pas si facile non plus de calculer des couchettes et des toilettes en fonction du pratique et des données générales. Enfin tout est prêt, depuis le 26 novembre 1952. Nous pourrions sortir très rapidement.
- Quelles seraient les performances d'un tel appareil?
- Je ne vous les énumérerai pas. Sachez cependant qu'avec des turbo B-25 dont je parlerai tout à l'heure, on atteindrait 700 [km/h] à 10.000 mètres. Mais on peut, pour commencer, l'équiper moins ambitieusement.
- Alors, qu'attend-on?
- J'espère bien qu'on attendra pas trop. Cela serait coûteux, mais la France n'a plus une minute à perdre si elle veut regagner une place enviable dans le réseau aérien mondial. En tout cas l'appareil ne sera pas si rapidement "dépassé", et à quoi servirait de mettre moins d'une nuit à traverser l'Atlantique? Ce qui risquerait d'être dépassé en n'agissant pas, ce serait notre pays démuni d'appareils de très grande classe internationale. Les prix sont élevés, naturellement. Mais je me permet d'y insister, tout le monde est d'accord pour reconnaître que personne n'aurait pu faire le Bréguet Deux-Ponts à meilleur marché. Malgré les méthodes artisanales auxquelles nous avons recouru pour fabriquer no 12 appareils. Alors?
Et M. Bréguet ajoute: "Je garde confiance."
C'est moi qui justement n'ai plus "confiance". L'entretien va se terminer et le moment solennel est venu. Tant pis, je plonge "Serait-il indiscret de vous demander, Monsieur, ce que... enfin, comprenez-moi... la presse a besoin de sensationnel et je...
M. Bréguet me regarde, le sourcil fronce - se demandant visiblement où je veux en venir... "Je voudrais savoir ce que vous pensez des soucoupes volantes"...
M. Bréguet ne s'est pas fâché. Il a souri, doucement. Et il m'a déclaré, en pesant ses mots:
- Voilà bien la question que j'attendais. Et je vous répondrai "pourquoi pas?" Et, avant tout, "pourquoi pas des hommes d'un autre monde?" J'irais plus loin, voyez-vous. Je n'ai là dessus aucune information spéciale. Je suis en train de lire un ouvrage intitulé: "Les soucoupes volantes viennent d'un autre monde", de Jimmy Guieu (1). Je ne connais pas cet auteur. Mais si ce que racontent les témoignage est exact, je puis vous affirmer qu'il ne saurait s'agir d'engin construits par des hommes. Les soucoupes, si elles sont ce qu'on dit, ne sont pas des engins terrestres, et ce monsieur a raison.
Je suis un peu étonné, je questionne: "Mais les Américains - ou les Russes?"
"Impossible. Tous les témoins sont unanimes à insister sur le fait que les soucoupes s'élèvent silencieusement. Et qu'elles n'ont pas une forme aérodynamique pour vaincre la résistance de l'air. Cela me suffit. J'ai personnellement jeté les plans d'un "turbo-sustentateur" qui s'élèverait sur place et obliquerait en filant très vite. Avec un seul "rotor", je pourrais lui donner la forme d'une soucoupe. Mais ce que je ne supprimerai pas c'est le ronflement de la réaction! Il faut que les soucoupes, par conséquent, empruntent à d'autres sources de puissance que les notres... peut-être un "champ de forces" créé à mesure, d'où la lueur. C'est pourquoi je vous répète: ou elles n'existent pas, ou les témoignages sont inexacts - ce qui me surprendrait quand il s'agit d'un bruit. Ou les soucoupes viennent d'un autre monde.
Et l'homme de science, me fixant gravement, a ajouté:
-Avons-nous le droit de nier? Que savons-nous, au juste. Nous sommes dans l'enfance de la science, un siècle et demi après Lavoisier. Moi, ingénieur électricien, j'ignore bien ce qu'est l'électricité. Je me garde seulement de l'imagination et je raisonne selon la logique. Les soucoupes ne peuvent pas avoir une origine terrestre, si elles sont ce que l'on raconte. Maintenant, à vous de conclure...
Et j'ai été très impressionné.
Marc BOURNEYROL
(1) Editions du "Fleuve Noir".